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Imane Ayissi le Doigté Africain à Paris


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Ce mois Flashmag a pour guest star Imane Ayissi ; chorégraphe, Modèle, Designer, et Auteur…

Flashmag : vu les différentes casquettes que vous portez comment vous définissez vous en substance qui est Imane Ayissi ?

Imane: C’est difficile de définir une personne en quelques mots surtout quand il s’agit de soi. Je suis quelqu’un de créatif, et aujourd’hui ma créativité se déploie surtout dans la mode, et également dans l’écriture.

Flashmag : en 1990 vous arrivez en Europe en compagnie de Yannick Noah lors de sa tournée musicale Saga Africa quelles mémoires gardez-vous de votre expérience en tant que danseur chorégraphe ?

Imane Ayissi: Je garde un très bon souvenir de cette période qui m’a permis de beaucoup voyager, en Europe, puis ensuite quand j’ai travaillé avec Patrick Dupont au Canada et au Japon, ce qui en soit est déjà une merveilleuse expérience. Pour moi la danse était quelque chose d’assez naturelle, mais une grande discipline est nécessaire avec les chorégraphies à apprendre et mémoriser, voir parfois des rôles, la danse touchant parfois les frontières du théâtre. La danse c’est aussi la vie de troupe, au sein d’une compagnie surtout lorsqu’on est en tournée à l’étranger, avec ses bons côtés, les relations avec les autres et aussi ses mauvais côtés, quand il faut faire face à des conflits, gérer des modes de vie différents…etc.

Flashmag : on sait qu’en tant que mannequin male vus avez été l’un des premiers modèles noir à briser les tabous que pensez de cette période et de votre expérience ?

Imane Ayissi: Il y avait des mannequins noirs dans la mode avant que j’arrive, dès les années 70 on a vu des mannequins hommes noirs dans la publicité et sur les podiums. C’était peut-être surtout des américains et des antillais plutôt que des africains. Moi ça a été un peu différent, j’étais africain moins sophistiqués que les autres, pas dans le réseau de la mode, donc ça n’a pas marché tout de suite. Mais peu à peu j’ai fait mon chemin et en fin de compte ça reste une très bonne expérience. Ca m’a fait pénétrer dans les maisons de luxe, pour les défilés et aussi pour les essayages en cabines, mais également des marques plus industrielles comme Gap pour qui j’ai fait des campagnes publicitaires. J’ai eu aussi la chance de ne pas faire que de la mode mais de travailler avec des photographes qui étaient plus des artistes, donc sur des projets plus libres. Mon expérience de danseur m’a je crois aidé aussi surtout pour la photo, parce que j’avais acquis une manière de bouger, de maitriser mon corps que n’ont pas tous les mannequins, surtout les hommes. Donc je garde un excellent souvenir de cette période, même si rien n’est jamais complètement rose… En tout cas ça m'a apprit beaucoup de choses dans le domaine de la mode et de la culture.

Flashmag : en tant que mannequin on se dirait qu’il est logique que vous soyez devenu designer mais néanmoins on aimerait savoir comment est-ce que vous en êtes arrivez là?

Imane: En fait ça n’est pas si logique que ça, et les mannequins qui deviennent designers sont très rares. Quelques un essaient comme Katoucha, Inès de la Fressange ou récemment Alek Wek. Mais ça réussit rarement. Moi c’est un peu différent parce que j’ai toujours été attiré par la mode dans son aspect création dès mon enfance et j’avais commencé à couper et coudre des robes tout seul et ensuite à travailler chez un designer camerounais, Blaz Design avant de venir en Europe et donc d’être mannequin. Etre mannequin m’a permis d’une certaine façon de faire ma formation dans la mode, mais devenir designer était quelque chose de plus profond.

Au début j’ai fait mes collections tout seul avec peu de moyen, et des tissus que j’achetais à très bon prix, puis petit à petit j’ai appris de mes erreurs, fait des rencontres pour peu à peu évoluer et faire des collections de manière plus professionnelle et bâtir une marque.

Flashmag: qui sont les designers qui ont le plus influencé votre carrière ?

Imane: Dans l’histoire de la mode française il y a des noms incontournables comme Vionnet, Mme Grès, Dior, Balenciaga, Jean Patou qui bien sûr m’influencent. J’ai eu la chance de faire des essayages avec Yves Saint Laurent et ça reste quelqu’un qui est une référence pour moi, et plus près de nous Azzedine Alaïa est quelqu’un que j’admire pour son indépendance, son sens du style, du sexy subtil, sa maitrise de la coupe et de la technique. Même si ça n’est pas vraiment une influence d’un point de vue style pour moi, Chris Seydou est quelqu’un qui m’a marqué parce que c’est le premier créateur africain (avec Gisèle Gomez) à s’être fait un nom en France et à ouvrir une boutique à Paris, donc pour moi ça a été un exemple à suivre.

Flashmag : Après les designers noirs de regretté mémoire comme les Américains Willy Smith et Patrick Kelly ; beaucoup pensent que avec Alphadi vous restez les valeurs sures de la mode coté Black. Si c’est vrai beaucoup estiment que les noirs dans l’industrie de la mode restent marginalisés est-ce vrai ?

Imane: C’est vrai qu’en ce qui concerne la mode « créateur-luxe » internationale il y a assez peu de créateurs « black ». Il faut évidemment bien distinguer les créateurs américains, pour qui une industrie de la mode, des structures existent des créateurs africains. Je ne sais pas pourquoi il y a peu de créateurs afro-américains parmi les jeunes créateurs américains, alors qu’il y en a plein d’origine asiatique (comme Alexander Wang par exemple, mais aussi Thakoon ou bien d’autres…)

Pour les africains c’est très différent (Il y a aussi Durow Olowu à Londres et Xuly Bët à Paris), s’il y a peu de créateurs africains c’est parce qu’il n’y a pas d’industrie de la mode, un marché très réduit et surtout pas de formation, d’écoles dignes de ce noms. Il y a une multitude de créateurs en Afrique mais ils sont tous autodidactes, ne maitrisent ni la technique, ni le fonctionnement de la mode au niveau internationale (la notion de marque, les calendriers, les salons, les relations presse…etc), donc même s'ils fonctionnent au niveau local quand ils cherchent à exporter ou qu’ils essaient de s’installer en Europe ça ne fonctionne pas. Il y a toute une infrastructure de la mode à mettre en place auparavant dans les pays d’Afrique et d’énormes efforts d’éducation à faire. Certains pays comme le Nigeria ou l’Afrique du Sud sont plus en avance (La fashion week de Johannesburg commence à être intéressante) Pour l’Afrique Francophone il y a le Fima d’Alphadi et Siravision au Sénégal ou encore Bimod au Bénin qui essaient de donner une visibilité à ces créateurs, mais c’est un fonctionnement différent, plus sur la notion de spectacle que d’industrie. Il y a donc encore beaucoup de travail à faire.

Flashmag : en 2004 vous avez été le directeur artistique du bal d’été de la principauté de Monaco sous le haut patronage du Prince Albert de Monaco ; qu’est-ce que cela représentait pour vous, une reconnaissance de votre talent au plus haut niveau ?

Imane: J'ai fait pendant 3 ans la direction artistique du bal d’été de Monaco, bien sûr on ne vous confie pas ce genre d’événement si on ne vous fait pas confiance, c’est donc une reconnaissance de mes compétences. C’est un travail un peu différent de ce que je fais tous les jours parce que justement ça mélange la danse, la mode, la décoration …etc. C’était donc très intéressant à organiser.

Flashmag : votre définition de la vrai beauté ou est-ce qu'on peut la trouver ?

Imane: La vrai beauté c’est l’acceptation de soi-même déjà, être en harmonie avec sa personnalité, son corps et avec les autres. C’est donc plus une question d’attitude que de formes plastiques parfaites. La beauté est multiple. On peut la trouver partout, dans les palaces new yorkais ou parisiens comme dans les villages du fin fond du Sénégal ou du Cameroun. L’Anti-beauté, c’est le show-off, trop d’artifices, la sophistication à outrance…

Flashmag : croyez-vous que le monde de la mode est l’un des plus tolérant quant-il en vient aux races, aux genres ou à l’orientation sexuel ?

Imane: Oui c’est un milieu plutôt ouvert et tolérant sur ces questions mais comme tous les secteurs créatifs ou liés à la culture. La curiosité et la recherche de nouveauté rendent tolérant. Mais ce n’est pas non plus tout rose et la mode est un secteur aussi très divers : l’ambiance dans les vieilles maisons de luxe n’est pas du tout la même que chez les créateurs ou dans l’industrie du prêt-à-porter. La mode est un milieu très tolérant et en même temps intolérant parce que snob.

Flashmag : pas mal de modèles féminins noirs que j’ai rencontré ce sont souvent plaintes du fait que leur formes arrondies étaient un frein à leur carrière qu’en pensez-vous surtout que lorsque l’on regarde un défilé de mode la majorité de modèles sont filiformes et souvent de race blanche hormis quelques rares exceptions, que pensez-vous de cet état des choses ?

Imane: Les formes « rondes » dans la mode sont un problème pour tout le monde, pour les modèles noirs, blancs ou asiatiques, c’est la même exigence pour tous les mannequins. L’idéal physique dans la mode luxe aujourd’hui c’est la minceur. Karl Lagerfeld dirait de façon lapidaire qu’être grosse c’est vulgaire, être mince c’est chic, en fait c’est quelque chose de très profond qui définit le rapport au corps dans les sociétés modernes occidentales depuis les années 1920. D’ailleurs les mannequins noirs qui font des carrières internationales aujourd’hui (Adjuma, Kinée Diouf, Alek Wek, Georgie Badiel, Chanel Iman ou Ataui Deng dans la jeune génération) sont en générale parmi les plus minces et sont recherchées pour ça.

Le problème de la faible place des mannequins noirs sur les podiums et dans les publicités de luxe vient que les marques créent pour leurs marchés, qui restent essentiellement occidental. Le jour où l’Afrique sera un marché massif pour le luxe on verra sans doute plus de mannequins noirs.

Flashmag : comment définissez-vous votre style ? Qu’est-ce qui vous inspire le plus ?

imane: Pour moi c’est difficile de définir mon style, c’est plutôt aux observateurs, journalistes …etc de le définir.

Ce que je peux dire, c’est que lorsque je crée une collection, quelque soit son thème, ce qui est important c’est le travail sur la silhouette, le rapport entre le corps et le vêtement, le mouvement, le confort qui va permettre de se mouvoir de façon élégante, le choix des matières qui doivent accompagner les mouvements du corps… Ensuite tout peut m’inspirer, même si je reviens assez régulièrement sur les différentes cultures de l’Afrique sub-saharienne que j’essaie de valoriser par mes créations. Ce que les civilisations de l’Afrique ancienne a produit de plus beau m’inspire : la stylisation des masques, les formes géométrique qui deviennent vivantes, le travail des volumes, comment à partir de lignes simples on peut faire surgir l’image d’un visage d’un corps, d’un animal. Les créateurs contemporains africains comme Ousmane Sow, Romuald Hazoumé, Brahim El Anatsui… m’inspirent également. Mais une idée de collection peut aussi naître d’une image, de souvenir d’un voyage au japon, d’une lecture…c’est très divers.

Flashmag : ça fait plus de 15 ans que vous tutoyez les sommets de la haute Couture n’avez-vous jamais eu un sentiment de saturation, une tentative de dormir sur vos lauriers ? Pourquoi ?

Imane: On apprend tous les jours, les choses sont difficiles, je suis loin de me sentir « arrivé ». Chaque nouvelle collection est un combat, donc l’idée de me reposer est très loin de moi. Parfois je peux en avoir un peu marre du milieu de la mode, face aux difficultés, aux complications, mais ça ne dure jamais très longtemps, c’est pour moi une vraie passion et un moyen d’expression que j’aime.

Flashmag : que pensez-vous de l’affaire John Galiano un designer que vous avez côtoyez longtemps dans les milieux de la mode à Paris qu’est ce qui selon vous peut expliquer son comportement ?

Imane Ayissi: Je n’ai jamais été proche ou ami de John Galliano, donc je ne peux pas en dire plus que ce qu’on a déjà lu sur son comportement. J’imagine que c’était une personnalité assez fragile, peut-être pas assez fort pour supporter à la fois la pression et les facilités qu’offre le fait de travailler pour une maison comme Dior. Bien sûr je suis triste de cette fin pour lui et pour Dior.

Flashmag : on sait que plusieurs célébrités portent constamment vos créations pour des grandes cérémonies n’avez-vous jamais eu des difficultés à satisfaire leur exigences ? Leur personnalité étant très souvent hétéroclites ?

Imane Ayissi: Moi-même je suis très exigent, alors forte personnalité contre forte personnalité, en général ça se passe très bien, sachant qu’en ce qui concerne la mode, la mise en valeur de la silhouette, je m’estime compétent. Parfois ces célébrités arrivent avec une idée et repartent avec une autre si je ne l’estimais pas géniale. Je n’ai jamais eu de problème et je garde toujours un bon souvenir de ces collaborations. J’ai peut-être eu la chance de ne jamais rencontrer de stars capricieuses ou têtues, mais de toute façon je ne suis pas près à faire n’importe quoi pour qu’une célébrité porte une de mes créations…

Flashmag : en tant qu’auteur vous avez commis 2 ouvrages déjà; pouvez-vous nous en dire un peu plus ? Que représentent ces ouvrages pour vous une nouvelle manière d’exprimer vos talents d’artiste ou alors vous profitez de votre posture pour faire participer l’Afrique a la civilisation universelle ?

Imane Ayissi: J’ai écrit deux ouvrages de contes, des contes imaginaires : « Millang Mi Ngorè, Histoires du soir » et « Le silence du masque ». C’est pour moi une autre manière d’exprimer des idées, des envies, ce que je ressens face au monde. C’est aussi une manière de faire connaître un peu ma culture natale, puisque ces contes écrits en français contiennent des expressions et des mots en ewondo, ma langue natale. Un de ces contes (Arrokai, la petite fille et l’oiseau) a été étudié dans des écoles de la région parisiennes à la fois pour l’histoire qu’il raconte et qui a une portée universelle et pour ce morceau de culture africaine qu’il contient.

Flashmag : revenons à la mode alors que nous entrons dans la 2eme décennie du 21e siècle que pensez-vous des nouvelles tendances de la haute couture ? Pour certains elle a atteint le point de saturation pensez-vous avoir encore une belle marge de progression dans la création ?

Imane Ayissi: Il y a des époques plus créatives ou révolutionnaires que d’autres. Peut-être que les dernières années ont été moins passionnantes que la révolution des années 80 par ex. Mais en général ces périodes relativement calmes sur le plan de la création annonces des nouveautés. En tout cas pour moi, j’ai encore beaucoup de nouvelles idées à développer.

Flashmag : votre de point de vue sur l’état général des noirs dans l’industrie du vêtement?

Imane Ayissi: Je ne refuse pas le terme « noir » mais il est bien insuffisant pour décrire la réalité et contribue plutôt à cataloguer et à mettre dans des cases. Il y a tellement de cas différents, qu’ont de commun le président des Etats Unis, un fonctionnaire californien, un commerçant antillais, un berger Dinka au Soudan et un habitant de Johannesburg ? A part le fait d’avoir une couleur de peau assez proche sans doute pas grand chose. Bien que « noir » mon mode de vie ressemble plus à celui d’un parisien blanc qu’à autre chose, sans oublier ce que je suis et mon parcours.

Flashmag : on aime dire qu’une vie sans cause est une vie sans effets quels sont les grands combats d’Imane, son opinion en règle général sur la vie ?

Imane: Comme tout le monde j’ai des opinions des combats. Mais ce que je fais pour aider telle ou telle cause, mon travail pour certaines associations humanitaires sont des choses privées, que j’essaie de ne pas faire interférer avec mon travail. Ensuite si vous lisez mes contes, vous pouvez lire entre les lignes quelles sont mes grandes préoccupations, la vision que j’ai du monde, ou ce que je pense qu’on devrait faire pour améliorer notre vie en société….

Flashmag : au moment de clore cette interview y a-t-il une autre question un autre sujet que vous auriez aimé évoquer avec nous ?

Imane : Non...pas vraiment

Flashmag : un mot sur vos projets futures; un mot pour les lecteurs de Flashmag…

Imane Ayissi: Je continue ma route. Bonne lecture pour les lecteurs de Flashmag.

Flashmag: Imane Ayissi, "Flashmag" vous remercie pour votre patience et pertinence tout au long de cet entretien.

Interview réalisée par Hubert Marlin Jr.

IMANE AYISSI COLLECTION "MIMBAK" PRINTEMPS-ETE 2012 EN VIDEO


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